Un Valenciennois en parlait déjà au quatorzième siècle
Le 9 juin dernier, le magazine Géo, sous la signature de Stéphanie Bacou proposait un article ainsi titré : « Une route romaine découverte au Pays de Galles ». Cet article faisait écho à des publications de la presse anglaise (Dailymail, Gardian et BBC...) parues également en juin 2022.
Ces articles de la presse anglaise* relataient la découverte par un archéologue, Mark Merrony de l'Université d'Oxford, d’une voie « romaine » au Pays de Galles. Ce qui étonna grandement la communauté scientifique britannique puisque l'on ne soupçonnait pas, jusqu'en juin 2022 donc, que la colonisation romaine puisse avoir été aussi loin à l'Ouest de l’île. Le docteur Merrony expliquait avoir entrepris ces recherches à la suite de la lecture d'un ouvrage d'Edward Lhwyd, (1660 - 1709) qui fût l'un des premiers conservateurs de l'Ashmolean Museum d'Oxford, le musée universitaire d'art et d'archéologie créé en 1683 :
« C'est incroyable que cette route ait été complètement oubliée... cette nouvelle va étonner le Pays de Galles, qui croyait jusqu'alors que les Romains n'avaient pas pu s'aventurer jusqu'au « far west »... de la Grande Bretagne ! » ne cesse de clamer l'inventeur de cette découverte, Mark Merrony.
Pourtant au quatorzième siècle, le valenciennois Jacques de Guyse* évoquait déjà dans son livre « Chroniques du Hainaut » cette route. Mais cette voie, selon l'historien hennuyer, n'était pas romaine et se trouvait avoir été construite, par le fils de Brunehulde, celui-là même qui construisit et donna son nom aux sept (ou huit selon que l'on considère la voie disparue entre Bavai et Famars) Chaussées Brunehaut qui partent de Bavay !
Qui dit route ancienne ne dit pas forcément « voie romaine »...
Enquête : L'archéologue anglais reconnaît que même si cette voie est « romaine », elle a sans doute servi aux hommes préhistoriques qui couvrirent une bonne partie de l'Europe de ces fameuses pierres dressées dont on ne sait précisément qui les édifia et quand ils les élevèrent ? Mark Merrony base sa réflexion sur la proximité de cette « nouvelle route » et de la mine d'où furent extraites les pierres qui servirent à construire le fameux site de Stonehenge.
Cette ancienne piste était connue des archéologues et paléontologues, mais comment expliquer que le tronçon découvert soit "pavé" autrement qu'en affirmant que ce sont les romains qui l'ont aménagé. Les conclusions des scientifiques actuels étant que puisque les romains construisaient des routes pavées, nous possédons la preuve documentée, chaque fois que l'on découvre une nouvelle route pavée, même si les romains ne se sont jamais aventurés dans la zone, on déclare la voie... romaine !
C'est ce qui se passe dans la région de Bavai où les Chaussées Bruinehaut sont déclarées "voies romaines" alors que depuis longtemps preuve est faite que ces routes existaient bien avant la venue de Jules César dans notre région ! L'ingénieur Léon Desailly (BULLETIN SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE - 1921 : "Les chaussées romaines de Bavay n'ont-elles pas une origine préhistorique ?") a usé ses brodequins le long des Chaussées pour prouver qu'elle étaient l'oeuvre de ceux qui avaient couvert les Plats Pays de monuments néolythiques :
"On peut encore constater de nos jours que les rares monuments mégalithiques construits dans la région de Bavay, se trouvent pour la plupart érigés près dés grandes voies qui aboutissent à cette ville. C'est là un fait troublant ; le hasard est incapable de produire une semblable unanimité.
Si ces pierres, dont l'origine est nettement préhistorique, avaient été transportées par les romains, le long de leurs routes, ils les auraient fait tailler selon leur constante habitude pour leurs bornes milliaires. Il est plus logique de penser que les chaussées de Bavay sont contemporaines et en relation directe avec les monuments mégalithiques qui les jalonnent dans toutes les directions."
Or Léon Desailly basait sa réflexion sur le livre de Jacques de Guyse, le même qui déjà évoque la "voie romaine" du Pays de Galles" !
Que disait Jacques de Guyse ?
C'est à la demande de Guillaume, comte de Hainaut que l'annaliste écrira sa somme (plus de trente volumes !) qui racontera l'histoire des "belges" menés par leur chef Bavo, qui quittèrent la légendaire ville de Troie, après la défaite de Priam, pour à la suite d'un long périple se retrouver à Bavai. Le fils de Bavo, Brunehulde, pour mieux contrôler son territoire décida de percer les 7 Chaussées qui portent son nom (et pas celui d'une princesse burgonde...) et cela bien avant que les romains n'envisagent même de se constituer un empire...
Le fils de Brunehulde, Bruno en 930 avant JC, à la suite d'une "réponse des dieux" partit à la conquête de l'île de Brutus (Grande Bretagne). Après la victoire il décida, comme l'avait fait son père de couvrir le pays de routes pavées...
"Bruno, à l'exemple de Brunehulde, fit construire et paver des routes royales dans toute l'étendue du pays. Elles partaient de la mer de Cornouaille, et aboutissaient à celle de Cathnesse. Il fit aussi tracer une autre route dans le sens de la largeur de l'île, et qui, de la ville de Menenia, située sur la mer Démétique, s'étendait jusqu'à Portsmouth , et conduisait en droite ligne aux villes comprises entre ces deux extrémités. Dans la suite des tems , ces routes ont été, dit-on, réparées par un roi de Bretagne." (le texte de Jacques de Guyse étant écrit en latin, la traduction donnée ici est due au picard Jean Vauquelin, mort en 1482).
Le texte original :
« Insulamıtamen domatam , et, Leire rege effugato, ad similitudinem Brunehuldis, fecit Bruno vicos regios per universam insulam circumsterni; incipiens à Cornubio mari usquè ad Cathanesium littus . Jussit etiàm aliam viam fabricari secundùm latitudinem insulæ, quæ à Meneniâ urbe quæ super Demeticum mare sita est, usquè ad Portum Hamonis extensa, ad urbes infrà positas recto tramite duceret. Qui quidem vici, successione temporis, à quodam rege britonico dicuntur reparati. »
A noter la correspondance des noms de lieux : Cornubio et Cornouailles, Cathanesium et Cathnesse (mer d'écosse) Menemia, ville sur la mer Démétique (Demeticum mare) et Portum Hamonis traduit par Portmoutrh (alors qu'il s'agit plus vraisemblablement du port voisin de Southhampton).
La route qui nous intéresse, et dont parlent les articles cités plus haut est celle qui relie Menemia et Portum Hamonis.
En rouge, la « nouvelle » route...
La Demeticum mare borde le territoire de la région Demetae
Jacques de Guyse est ce que l'on appelle un compilateur, il compose son livre avec des chroniques anciennes sur lesquelles il s'appuie, à l'époque cette reprise de texte ancien n'est pas considérée comme du plagiat, au contraire s'appuyer sue ce que disaient les anciens est faire preuve de sérieux et surtout entoure de légitimité le texte... L'extrait donné plus haut est d'ailleurs attribué à un certain Lucius de Tongres qui aurait vécu au douzième siècle...
"Aurait", parce que le fameux Lucius n'est connu que de Jacques de Guyse... et certains n'hésitent pas à lire sous la plume de cet inconnu de Tongres, le texte de Jacques de Guyse lui-même... mais faute de preuves, nous sommes bien obligé de considérer Lucius comme source de Jacques. Et considérer, comme d'autres avant nous, que Lucius a tiré son texte d'un roman latin du douzième siècle...
Nous avons retrouvé la trace de cette route dans deux publications antérieures à celle de Jacques de Guyse, ou de Lucius de Tongres, un roman breton (le Roman de Brut) attribué à un moine nommé Wace et aussi dans le fameux texte en latin de Geoffroy de Monmouth, Histoire des rois de Bretagne, fameux parce qu'il évoque pour la première fois le roi Arthur et sa cour, et qui sera la source principale de la légende arthurienne et de ce que l'on appelle la "matière de Bretagne"...
Le roman de Brut est un poème en octosyllabe écrit en picard :
Del long de la tère mult grant :
Fort la firent li païsant.
Ele commence en Cotenois
Et si fénist en Catenois ;
Vers Cornuaille commença
Et dedens Escoce fina.
Del port de Haustone (Southhampton) sor mer
Fist un chemin chaucié mener
Jusqu'en Gales à saint Davi (aujourd'hui St David)
Et là oltre la mer fini."
Plus bas, Wace évoque de nouveau les "chauciés" :
"Deux chauciées refist del lé
Qui le païs ont traversé"
Texte de Geoffroy de Monmouth, sur lequel s'appuie Wace pour son Roman de Brut. (Brutus, terme enployé par Jacques de Guyse, le pays de Brutus, voir plus haut)
Maximè autem indixit (Belinus), ut civitates et viæ quæ ad civitatem ducebant eamdem pacem quam Dunvallo statuerat, haberent : sed de viis orta est discordia, quia nesciebatur quibus terminis deffinitæ essent. Rex ergo omne ambi- guum legi suæ aufferre volens, convocavit omnes operarios totius insulæ; jussitque viam ex cemento et lapidibus fabricari : quæ insulam in longitudinem à Cornubio mari usque ad Cathenesium littus secaret et ad civitates quæ intra erant recto limite duceret.
Jussit etiam aliam fieri in latitudinem regni quæ à mænenia quæ super Demeticum mare sira est usque ad Portum-Hamonis extensa, ad urbes intra ducatum constructas dirigeretur."
Traduction :
"Mais surtout (Belinus) a ordonné que les villes et les routes qui menaient à la ville profitent de la même paix que Dunvallo avait établie: mais une discorde s'éleva au sujet des routes, car on ne savait pas par quelles villes elles étaient délimitées. Le roi, voulant lever toute ambiguïté de sa loi, convoqua donc tous les ouvriers de toute l'île ; et il ordonna de construire une route de ciment et de pierres, qui couperait la longueur de l'île depuis la mer de Cornoubie jusqu'à la côte de Cathènes, et conduirait aux villes qui étaient dans la ligne droite.
Il en ordonna aussi d'en faire une autre dans l'étendue du royaume, qui s'étendait de Maenenia des remparts au-dessus de la mer Démétique jusqu'au port de Hamon, jusqu'aux villes bâties dans le duché."
Il ne fait aucun doute, les trois auteurs (Quatre si l'on considère Lucius de Tongres) Jacques de Guyse, Wace et Geoffroy de Monmouth parlent de la même route : celle qui relie Haustone à Maenenia. Elles sont données comme étant droites, pavées et reliant les mêmes villes. (Saint David est d'ailleurs cité comme étant sans doute le point d'arrivée de la route découverte par l'archéologue Merrony)
Dans son livre, Jacques de Guyse ne parle pas des pierres dressées le long des chaussées qu'il affirme avoir été construite par roi des belges vivant un millénaire avant notre ère, sans doute parce qu'au Moyen âge ces bornes devaient être associées naturellement aux Chaussées... Ce n'est que bien plus tard que l'on reconsidéra l'origine romaine de ces routes et que l'on pensa à ce que les Chaussées Brunehaut ne soient des routes préhistoriques qui étaient liées aux pierres dressées...
Quelques remarques : Jacques de Guyse consacre à peine une demie page à toute la conquête de l'île de Brutus et ne parle que de la construction de ces routes et de la saisie d'une statue représentant Neptune à Londres qu'il fait amener à Bavay il passe ensuite en Hibernie (Irlande) qu'il asservit et en rentrant chez lui, la flotte est prise dans une tempête qui l'engloutit dans sa presque totalité et qui donne le pouvoir au frère de Bruno, Aganippus.
Les chaussées chez Jacques de Guyse sont toujours associées aux divinités et sans doute le vol d'une idole protectrice des flots a été fatal à Bruno et son armée, Neptune ne faisant pas partie de la cosmogonie du peuple de Bavai... (Dans le livre Chroniques du Hainaut l'auteur explique que cette statue maléfique sera envoyée à Namur, où l'on trouve effectivement un temple dédié à Neptune !)
Notons aussi que Jacques de Guyse dans la partie "légendaire" de son livre ne parle de routes que deux fois, quand il décrit la mise en place des Chaussées Brunehulde et quand il parle de cette voie au Pays de Galles...
Revenons à notre route découverte...
Elle a sans doute servi aux hommes préhistoriques à transporter les pierres de Stonehenge, puisqu'elle passe à proximité immédiate de l'endroit où des études poussées affirment que les pierres ont été extraites, le site de Waun Mawn à Tafarn-y-bwlch qui se trouve sur le territoire de Crymych...
Mais non seulement, la route découverte se trouve comme les Chaussées Brunehaut de Bavai, bordée de monument néolithiques et de lieux de production, le site de Stonehenge est également sur la "route droite" qui relie Southhampton et Saint David...
Peut-on imaginer que les Chaussées Brunehaut et la route découverte soient deux constructions de la même civilisation ? Beaucoup d'éléments portent à le croire.
On a longtemps discuté, certains en parlent encore d'ailleurs, de la signification exacte du mot "chaussée"... on sait ce que c'est qu'une route, un chemin, une voie, une rue... mais une chaussée, pas exactement !
On a longtemps cru que le terme venait de "chaux" (calciata en latin), mais on dût bien reconnaitre que la chaux, vive ou éteinte, était peu utilisée dans la fabrication de ces "chaussées"... on pense que "chaussée" signifie chemin haut, chemin sur un remblai... ce qui n'est pas la définition de la voie romaine telle qu'on l'entend (la voie romaine est faite de plusieurs couches de remblai). On trouve d'ailleurs certains endroits où la chaussée brunehaut s'appelle chemin haut, ou chemin vert...
La formule de Wace : "chemin chaussié" pourrait alors vouloir dire "chemin haut", "chemin choqué", en Picardie on parle d'une "choque d'herbe" :
- Et là, au milieu, voilà encore cette choque d'herbe qui est toujours restée au dessus de l'eau.
Et cette choque, qu'il faut appeler motte, l'eau l'entourait de tous côtés ?" (Entretien d'un jeune homme avec ses élèves - M.A Wacquez-Lalo)
C'est exactement l'idée de "motte" "au dessus de l'eau" qui se trouve dans l'expression de Wace "chemin chauciée".
D'autant que Geoffroy de Monmouth lui donne bien les matériaux qui servirent à construire les routes : "une route de ciment et de pierres..." "viam ex cemento et lapidibus fabricar"
Pas de chaux. Il s'agit donc du même type de routes décrites par Jacques de Guyse quand il parle des chemins préhistoriques qui partent de Bavai...
Alors certe, on a découvert une nouvelle route qui présente toutes les caractéristiques d'une voie romaine, mais c'est sans doute parce que l'on n'imagine pas que d'autres hommes, bien avant la conquête romaine, aient pu construire des routes droites, résilientes qui servirent à transporter des pierres dont ils faisaient des idoles...
Pour comprendre la route du Pays de Galles... il faut sans doute commencer par relire Jacques de Guyse !
* Presse anglaise consultée :
Dailymail (Fiona Jackson) : "Ancient Roman road discovered in Wales may follow the route taken by prehistoric people transporting the bluestones that built STONEHENGE, archaeologist claims." (Une ancienne route romaine découverte au Pays de galles devait suivre la route prise par les hommes préhistoriques pour transporter les pierres bleues qui servirent pour construire STONEHENGE, affirment lers archéologues.)
BBC (James McCarthy & Tomos Morgan) : "Pembrokeshire : Was unearthed Roman road used to trade Irish gold ?" (Pembrokeshire : A-t-on déterré la voie romaine utilisée pour le commerce de l'or irlandais ?")
The Gardian (Dayla Alberge) : "Romans ventured deeper into Wales than thought, road discovery shows" (Les Romains s'aventurèrent plus profondément au pays de Galles que nous ne le pensions, la découverte d'une route le montre")
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